Tricky est une machine à broyer. Broyer du noir, broyer des sons et des beats, broyer son chant, le passer au mixeur ou le dégueuler. Sur scène surtout mais aussi sur disque où son trip hip-hop frénétique, souvent sombre, est un déchaînement primitif venu des tripes, des entrailles de son moi profond. Solitaire, parfois agrassif, le Tricky incassable, semble aujourd’hui, s’être découvert une vulnérabilité soudaine. L’ex. jeune premier aux dents longues du trip-hop qui s’autoproclamait dernier punk, inventeur du son de Bristol, unique génie d’une scène pourtant prolifique, a mis depuis de l’eau dans son vin, atteint une nouvelle maturité. Il en sort grandi et sa musique répond enfin à des contraintes plus sobres que ses derniers disques emplis de perversion (« Stay»). En laissant la lumière pénétrer sur « Vulnerable », il se concentre moins sur une ambiance générale pour mieux lâcher la bribe à ses morceaux les plus réussis. Hip-hop toujours (« Wait for god », « Where i'm from»), pop encore (comme sur « Blowback » avec notamment le groovy « Antimatter» qui aurait pu sortir d'un disque de la sous-estimée Ruby), électro aussi, « Vulnerable » est un disque éclectique et plein, qui (et c’est dommage) dérape par moments vers une lourdeur amorphe (« Car crash », « What is wrong») trop docile pour sentir le véritable Tricky. « Vulnerable» est un bon disque irrégulier, peut-être pas le chef d’œuvre qu’on attend de lui depuis ses deux premiers albums, mais un opus à la fois abordable et intransigeant. Un bon disque dont le morceau de bravoure est la totale et l'improbable redéfinition du « Love cats » de Cure. |