Bonnie Prince Billy est un des pseudonymes sous lesquels se cache Will Oldham. Il y eut aussi Palace, Palace Music et d’autres dérivés, et le bonhomme pour mieux brouiller les pistes s’amuse de temps en temps à sortir ses disques sous son vrai nom. Ne me demandez pas la logique qui préside à cette effusion d’appellations, je serais bien en peine de vous la donner. En tout cas au-delà de cet éclatement, Oldham a construit depuis les années 90 une œuvre cohérente puisant aux sources du folk et de la country, reliftant sérieusement au passage ces genres traditionnels moribonds, considérés comme totalement ringards à la fin des années 80.
A ses débuts, il n’était pas le seul à revisiter le patrimoine. D’autres formations comme Uncle Tupelo puis Wilco, ou Tarnation ont dépoussiéré tout ça mais Will Oldham a acquis un statut un peu à part, sans doute à cause de la reprise de son bouleversant « I see a darkness » par le maître Johnny Cash sur un des enregistrements supervisés par Rick Rubin au seuil de la tombe.
Et puis il faut dire qu’Oldham sait se rappeler fréquemment à notre bon souvenir. Tel un Woody Allen du folk, ce stakhanoviste nous livre son lot de chansons chaque année. Son style est immédiatement reconnaissable : une voix fragile et sans effets, une guitare, des rythmes lents, une combinaison de tradition et de modernité et de la mélancolie à tous les étages, mais Oldham n’oublie jamais de s’ouvrir sur d’autres atmosphères. On l’a ainsi vu ces dernières années sonner très rock (le live « summer in the southeast »), chercher son inspiration au pays des fées (« the letting go » fut enregistré en Islande) ou collaborer avec des musiciens plus expérimentaux (Tortoise). Evidemment vu la profusion des livraisons, il est difficile de suivre ça de près, mais à chaque fois on aime retrouver notre vieille connaissance.
« Is It the sea ? » est la dernière offrande en date. Il s’agit d’un live enregistré lors de la dernière tournée qui vit BPB jouer à Edinbourgh avec des régionaux de l’étape : un backing band « Harem Scarem » et un percussioniste Alex Neilson. Le résultat est intéressant : la voix caractéristique de Bonnie Prince Billy est toujours là, les chansons sont de la country pure jus (le banjo, les choeurs), mais la guitare a quasiment disparu. A la place flûtes, violons, accordéon renforcent l’aspect traditionnel des compositions. Bien sûr la façon de chanter de BPB et les percussions sonnent résolument modernes mais à certains moments, on se dit que les premières chansons country, perdues dans l’aube de l’histoire du nouveau monde, devaient sonner un peu comme ça. Comme si BPB avait en l’espace de quelques concerts remonté le fleuve jusqu’à déterrer le lien primordial reliant la tradition qu’il a ingurgité et la musique celtique d’un autre temps. Ou plutôt comme s’il avait trouvé des enregistrements des premiers pionniers et qu’il s’était décidé à les réinterpréter à sa manière sans en altérer la substance.
Je vous parle d’une impression fugace, qui transparaît par éclairs. Car qu’on ne s’y trompe pas, « Is it the sea » sonne comme du Will Oldham le plus classique, et la voix est l’instrument qui prend le dessus la plupart du temps, reléguant alors au second plan l’instrumentation traditionnelle. Au final voilà encore un très bon disque de Will Oldham. Il serait un peu absurde de conseiller ce disque plutôt qu’un autre, mais en même temps, le plaisir qu’on prend à écouter ce style dépouillé est toujours là, intact, et ce type de sensation est suffisamment rare pour qu’on n’hésite pas à en faire part, une fois de plus. |
